Il y a deux ans, le Pr Tim Stockwell, directeur du centre de recherche sur les addictions à Victoria, au Canada, expliquait au Figaro: «Nos conclusions invitent à douter des bénéfices d’une consommation modérée d’alcool sur la mortalité. Ceci n’exclut pas la possibilité d’une cardio-protection qui serait tout simplement annulée par le risque accru de cancers et d’autres maladies». Il venait de passer en revue avec des collègues américains 87 études sur la consommation «modérée» d’alcool qui montraient que les trois quarts d’entre elles passaient à côté d’un biais majeur concernant les non-buveurs. Une fois ce biais corrigé, l’effet présumé protecteur d’une faible consommation d’alcool disparaissait.
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La nouvelle étude publiée le 23 août dans une revue scientifique réputée, The Lancet , vient de lui donner raison. «C’est une étude qui fera date, tant par la solidité de ses résultats que par son ampleur», explique le Dr Bernard Basset, médecin de santé publique et vice-président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA).
Ce sont en effet plusieurs centaines de chercheurs dans 195 pays qui se sont mobilisés pour fournir les données 1990-2016 de ce travail sans précédent mené grâce au financement de la Fondation Bill Melinda Gates. Les résultats confirment l’importance du fléau à l’échelle mondiale: «En 2016, la consommation d’alcool a conduit à 2,8 millions de morts et a été le principal facteur de risque pour la mortalité prématurée et le handicap parmi les personnes âgées de 15 à 49 ans».
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«La courbe de synthèse des risques montre l’augmentation de mortalité dès le premier verre», remarque le Pr Michel Reynaud, président du Fonds action addiction et concepteur du site addictaid.fr. Une augmentation qui reste toutefois modeste. Sur une année, les personnes âgées de 15 à 95 ans qui boivent un verre d’alcool par jour, n’augmentent finalement que de 0,5% leur risque de développer l’un des 23 pathologies recensées par les chercheurs.
Un impact très modeste, puisque cela signifie qu’avec un verre d’alcool par jour 918 personnes sur 100 000 vont être touchées chaque année contre 914 sur 100.000 parmi les non-buveurs. Mais attention, il s’agit de verres d’un volume correspondant à une unité d’alcool. Soit une coupe de champagne ou un verre ballon de vin (10 cl), un demi de bière à 5° (25 cl) et 3 cl -seulement- d’un alcool fort type whisky ou pastis (la quantité d’eau ajoutée ne change rien!).
«Jusqu’à un verre d’alcool on peut discuter, explique le Pr Reynaud, mais ensuite, à 2 ou 3 verres l’augmentation des risques est nette. Les gens ont parfaitement le droit de choisir de boire une fois qu’ils sont bien informés mais qu’on ne vienne pas nous dire que la consommation modérée d’alcool est bonne pour la santé». À deux verres par jour, ce sont 977 personnes sur 100.000 qui développent un problème de santé, et le risque continue d’augmenter pour atteindre 1252 personnes sur 100.000 avec 5 verres par jour.
Ajoutons un biais de minimisation fréquent dans les réponses. «Tout le monde a tendance à considérer subjectivement sa consommation comme raisonnable, c’est humain», remarque le Dr Basset. Mais rien ne vaut la vérification, surtout lorsque l’on se sert des «doses maison» forcément généreuses. Les férus de mathématiques ou de précision peuvent calculer la dose d’alcool en multipliant le volume (en cl) par le degré d’alcool, puis en multipliant ce total par 8 et en le divisant par 1000. Ainsi, avec une canette de bière forte à 10° (50 cl) on atteint déjà 4 unités d’alcool, soit quatre verres standards.
«L’enjeu de santé publique n’est pas dans la consommation d’un verre par jour, ni même de deux ou trois, souligne le Pr Reynaud. Mais les producteurs et industriels de l’alcool préfèrent que l’on parle de cela plutôt que de leur objectif d’élargir le nombre des buveurs, pour augmenter celui des gros buveurs». Le Dr Basset est pessimiste tant la fausse barbe d’une «consommation responsable» d’alcool promu par les lobbyistes semble endossée par l’Élysée: «Je crains que la ministre de la Santé, quelle que soit sa conviction, ne puisse faire autre chose que de prendre des mesurettes», soupire le Dr Basset.
Dans un numéro de la série «La santé en chiffres», consacré à l’alcool, l’agence Santé publique France dresse pourtant un sombre tableau de l’impact de l’alcool dans notre pays: «On estime à cinq millions les personnes qui ont des difficultés médicales, psychologiques ou sociales à mettre en relation avec l’alcool». Selon l’institution, «le coût sanitaire des problèmes liés à l’alcool serait compris entre 10 et 20 milliards de francs (la moitié de ce coût concernant les soins ambulatoires et l’autre moitié les soins d’hospitalisation). Les coûts sociaux sont également très importants: inefficacité et absentéisme professionnels, violence, maltraitance, conflits familiaux, suicides, accidents de la route et domestiques…»