Travailleuse sociale, Kirsty Mason a aujourd’hui 27 ans. Voilà neuf ans, suite à un accident, il a fallu l’amputer du bras droit à hauteur du coude. Depuis, elle a appris à écrire de la main gauche et a retrouvé une vie quasi normale. À ceci près qu’elle endure d’atroces douleurs… qu’elle situe dans son bras droit. L’impression, constante, de piqûres et de fourmillements. Et puis, parfois, «une sensation de brûlure», qui atteint presque le maximum dans l’échelle d’intensité de la douleur. «Cela paraît stupide, confiait-elle sur le site de l’université d’Oxford,mais la seule chose que je peux faire alors, c’est de mettre le bras dans le congélateur, pour l’engourdir.»
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Comme elle, 90 % des personnes qui ont perdu un bras ou une jambe ont la sensation que leur membre disparu est toujours là. Pire: d’après le Dr Tamar Makin, aujourd’hui en poste à l’University College de Londres, «80 % des personnes amputées ressentent des douleurs associées au membre perdu». C’est pour mieux comprendre l’origine de ces douleurs fantômes et trouver des moyens d’y remédier que ce spécialiste de neurosciences a lancé en 2012 une étude en imagerie cérébrale. Kirsty y a participé, et avec elle, 17 autres personnes amputées, 11 handicapés de naissance, avec une main en moins, et 22 dotées de leurs deux mains. Comme tous les autres volontaires, elle a obéi aux consignes: commander aux doigts de sa main droite de bouger, pendant que son cerveau était scruté par IRM.
Les résultats sont surprenants. Premier constat: quand une personne cherche à bouger les doigts qu’elle n’a plus, la représentation de sa main «s’allume» dans son cortex somato-sensoriel, région du cerveau vers laquelle sont transmises les informations reçues grâce au toucher et au mouvement. Deuxième fait marquant: cette activation est surtout présente quand la douleur associée au membre fantôme est forte. Enfin, s’il y a une perte de matière grise dans la zone associée à la main perdue par amputation, ce déficit diminue quand les douleurs s’accroissent.
De nouvelles pistes de traitements
On est encore très loin d’avoir élucidé le mystère de ces douleurs. Comme le souligne le Dr Christian Xerri, directeur de recherches à l’université d’Aix-Marseille, «l’explication de ces sensations est aujourd’hui controversée, et de nombreuses interrogations subsistent quant aux rapports entre l’intensité de la douleur fantôme et le remodelage des cartes corticales». On a, en effet, constaté que les zones représentant la main amputée sont colonisées par les sensations d’autres régions du cerveau. Dès 1995, le neurobiologiste allemand Hans Flohr a montré que l’intensité de la douleur du membre fantôme est directement liée à l’ampleur de cette «colonisation» corticale.
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Les résultats de ce champ foisonnant de recherches ont ouvert de nouvelles pistes de traitement: dans une étude publiée fin 2016 dans la revue Nature, les chercheurs ont utilisé une interface cerveau-machine pour faire bouger un bras robotique grâce à l’enregistrement du cortex. Or, la volonté de déplacer la main amputée aggravait la douleur fantôme. Mais lorsque le bras robotisé était mobilisé à partir des activités corticales générées par les mouvements du bras intact, les douleurs fantômes étaient réduites, laissant espérer à l’avenir des traitements appuyés sur cette technique.