Essayiste, Thierry Wolton est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, consacrés pour la plupart au communisme. Il a en particulier publié «Une histoire mondiale du communisme» en trois volumes chez Grasset: Les Bourreaux (2015), Les Victimes (2016), Les Complices (2017).
L’exhumation de la dépouille de Franco est sans doute une mesure de salubrité mémorielle, mais aussi une opération politique d’un gouvernement socialiste qui peine à convaincre ses partisans du bien-fondé de ses décisions. Par ce geste symbolique et peu compromettant, il cherche à resserrer les rangs autour de lui. L’instrumentalisation de l’histoire sert souvent à cela.
Que Franco soit responsable de la guerre civile de 1936-1939 pour s’être levé contre un gouvernement républicain démocratiquement élu est une vérité ; que les troupes nationalistes aient perpétré des massacres en tous genres ne saurait être discuté ; que la répression après la défaite républicaine ait été féroce, nul ne le conteste ; que les Espagnols aient souffert de la dictature franquiste pendant plus de trente ans est une évidence. En ce sens, son exhumation d’un mausolée qui glorifie la geste franquiste peut paraître justifiée. En revanche, comme souvent une bonne intention politique n’est pas exempte d’arrière-pensées idéologiques moins honorables.
La décision du gouvernement Sanchez ne peut panser les blessures toujours vivaces de la guerre civile, pas plus que la glorification de Franco de son vivant ne l’a fait.
Condamner Franco ne doit pas conduire pour autant à idéaliser le camp républicain auquel le gouvernement espagnol rend hommage par cette décision même.
La mémoire, lorsqu’elle est hémiplégique, ne règle rien. Or condamner le dictateur ne doit pas conduire pour autant à idéaliser le camp républicain auquel Madrid rend hommage par cette décision même.
La guerre civile espagnole est devenue une mythologie presque mondiale, entretenue par une mémoire en grande partie héritée du passé communiste avec pour panache les fameuses Brigades internationales venues du monde entier secourir les agressés. Elle est dépeinte comme le premier affrontement du Bien contre le Mal avant celui qui devait embraser le monde à partir d’août 1939. Le conflit espagnol est souvent présenté comme une «levée de rideau», si l’on peut dire, avec l’engagement aux côtés de Franco des dictatures fascistes de l’époque, Mussolini envoyant des troupes, Hitler des armes. Et il est vrai que la guerre civile espagnole a permis à l’armée allemande de tester son armement ainsi que des techniques de guerre, notamment le bombardement de civils qu’illustre le drame de Guernica. La suite de l’histoire n’a pu que noircir l’image du dictateur espagnol en raison de ces soutiens bien compromettants, même si Franco eut la sagesse de rester ensuite neutre durant le conflit mondial (hormis l’envoi d’une division de volontaires sur le front de l’Est). Tout cela est connu, et figure en bonne place dans les livres d’histoire.
L’autre versant de la guerre civile est malheureusement moins souvent rappelé: le noyautage du gouvernement républicain par les communistes espagnols sur ordre de Moscou; les assassinats massifs par le NKVD – la police politique soviétique présente sur place- , des trotskistes du POUM et des anarchistes ; la terreur que faisaient régner les commissaires politiques communistes au sein des Brigades internationales, avec, en tête, André Marty, dirigeant du PCF. Parmi d’autres acteurs engagés dans ce camp, George Orwell, que l’on glorifie aujourd’hui, a raconté tout cela dans Hommage à la Catalogne.
Si Hitler a testé ses armes en Espagne, Staline, lui, y a testé ses méthodes de répression, de noyautage et de prise du pouvoir.
En réalité, l’Espagne a été pris dans l’étau totalitaire de l’époque. Si Hitler y a testé ses armes, Staline, lui, a testé dans la péninsule ses méthodes de répression, de noyautage et de prise du pouvoir. Ce qui s’est fait du côté républicain a servi de galop d’essai au dictateur soviétique pour imposer son ordre. Il emploiera quelques années plus tard ces mêmes pratiques pour instaurer le communisme dans les pays de l’Est conquis, en 1944-1945, à la faveur de la défaite allemande .
Outre les combattants tués, on décompte de 55 000 à 65 000 exécutions de civils côté Front populaire républicain, de 75 000 à 85 000 côté franquiste, dont 30 000 après la guerre civile.
L’Espagne de ces années-là a servi de laboratoire au mal du siècle, rouge et brun, au détriment des Espagnols, finalement les premières victimes de ce qui allait déferler sur le reste du monde.
En termes de combattants tués, aucun des deux camps de cette guerre civile ne peut crier victoire: environ 150 000 morts de part et d’autre. Si l’on s’en tient aux violences commises contre les civils («ennemi de classe», prisonniers politiques, clergé, etc.), on décompte de 55 000 à 65 000 exécutions côté Front populaire républicain, de 75 000 à 85 000 suppliciés côté franquiste, ce dernier chiffre tenant compte des 30 000 condamnations à mort prononcées après la guerre civile par le régime de Franco.
Il ne s’agit pas de renvoyer dos à dos les protagonistes de ce drame mais de sortir d’un manichéisme qui n’aide pas la démocratie espagnole à se consolider. Si l’exhumation de la dépouille de Franco, soutenue par la gauche et l’extrême gauche, est critiquée par le centre et la droite, c’est en raison des arrière-pensées idéologiques du gouvernement Sanchez. Faute de penser l’histoire avec honnêteté, le gouvernement espagnol accentue les divisions du pays et empêche de panser les plaies du passé.
Espagne : le gouvernement va exhumer la dépouille de Franco – Regarder sur Figaro Live